En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


lundi 23 juillet 2012

Radiothérapie : grande finale

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

Est-ce possible? 

Sonnez les cloches, chantez, dansez, envahissez l'espace, ouvrez grand les bras pour enlacer la vie... dans quelques heures, les rayons signeront sur mon corps mutilé les closes d'une armistice entre le cancer et moi. Il dépose les armes après sept mois de combat. Ce soir je sabre le champagne!

À 16 h 10, ce 23 juillet 2012, je vivrai ma 20e et dernière séance de radiothérapie. Bien sûr, il faudra un ultime examen pour conclure à la victoire. Mais je la sens en moi, vibrante et lumineuse.

 Aujourd'hui, j'accepte de poser les yeux sur les ruines d'un corps qui a chèrement combattu pour vivre. Dépouillée de mes cheveux, des mes cils, de mes sourcils, le sang anémié, la chair à jamais marquée par des cicatrices encore douloureuses, les mains laides de mes ongles assaillis par les poisons chimiques, la vue sans cesse brouillée par les larmes d'une pluie persistante, l'énergie en berne et la douleur couvant sous les cendres, je regarde devant moi et vois l'avenir.

Le quotidien de la radiothérapie

À la quatrième séance de traitement, j'ai compris que tout ce mois allait se passer au rythme des passages quotidiens au service de radio oncologie

Bien que suivant le conseil du technicien, à savoir prévenir la douleur au bras et au dos en prenant un analgésique avant le traitement, je n'échappe pas totalement à la douleur, mais parviens à espacer la prise de morphine, mais non au triatec.

Déjà habituée à la promptitude du service, la 5e séance va se révéler plus cahoteuse. Ce vendredi 29 juin, l'humeur du temps est orageuse. À peine arrivée dans la salle d'attente pour mon rendez-vous de 14 h 45,  je lis sur le tableau blanc les retards des salles 1, 2 et 3 variant de 20 minutes ( 2 et 3) à 1 h 55 (salle 1). Le nombreux de patients impatients va croissant. Les conversations se multiplient. Je tente d’occulter les propos réactionnaires de quelques messieurs installés devant la télévision. Tous les préjugés y passent jusqu'à ce que le propos se fasse plus personnel. Une description détaillée de leurs ennuis de santé, de la vessie à la prostate. Face à moi, trois femmes échangent sur leur expérience. Je frémis en entendant l'une d'elle mentionner qu'après avoir combattu un premier cancer du sein, sans chimio, elle est en lutte pour un second. Elle ne se plaint pas. Elle se veut rassurante concernant les effets de la radiothérapie, fière de ne pas avoir perdu ses cheveux blonds et bouclés. 

Le retard s'accentue. Les orages provoquent de courtes pannes d'électricité. Or une interruption, même très courte, exige une vérification de toutes les machines. Afin de gagner un peu de temps, chacune est appelée pour redessiner les tracés rouges qui, en prévision des douches de la fin de semaine, sont protégés par un ruban collant transparent. J'y passe à 15 h. Je choisis de retourner dans la salle d'attente en jaquette d'hôpital pour éviter un second déshabillage. J'en couvre l'inélégance par ma veste, laquelle fait l'envie des autres qui commencent à mal supporter le froid de la salle d'attente. Bon samaritain, le concierge distribuera quelques couvertures. Il est sympathique cet homme; saluant les patients qui le croisent pour montrer qu'ils ne sont ni anonymes, ni invisibles. Je le rencontrerai à d'autres étages où nous échangeront sourire et bonjour comme de vieilles connaissances. À 17 h, je suis enfin priée de me diriger en salle 1. Quelques minutes pour bien m'installer sur la table avant de lancer les radiations et voilà que survient une nouvelle interruption de courant. À peine quelques secondes. Il faut recalibrer la machine. Retour  en attente jusqu'à 18 h 30. Pas de grogne. Tous les patients comprennent le problème. Une employée confie qu'en dix ans de travail au centre, c'est la première fois qu'elle voit une telle succession de pannes. 

Encore trois jours pour récupérer. Fatigue, frilosité, nausées, mal à l'estomac et dos douloureux, le sein lui me semble moins enflé et moins brûlant. Par contre je réagis mal à l’œdème spectaculaire de mes pieds. Est-ce un effet inattendu de la radiothérapie?

Mardi 3 juillet, les techniciens admettent que la plupart des effets énoncés peuvent être une conséquence de la radiothérapie, précisant que la chimiothérapie n'a pas fini non plus de se manifester, mais l’œdème n'en fait pas partie.

Mercredi 4 juillet, seconde rencontre avec l'oncologue. Il atténue mon angoisse pour certains symptômes : estomac, toux, taches brunes sur le sein. L'enflure de mes pieds l'alerte cependant. 

- Non, ce n'est pas la radiothérapie qui en est la cause, assure-t-il. 

Pas de conseil pratique en attendant, sinon, garder le plus possible les pieds surélevés. 

Je lui confie avoir eu, la veille, une journée où je me sentais relativement bien... une sensation d'énergie. Un regain. Il me regarde intensément :

- Cela va vous arriver plus souvent et cela va durer plus longtemps.

Et mes ongles?

- Patience. Vos ongles? On a tenté de vous empoisonner... on vous a empoisonnée. Patience, les effets de la chimio sont encore là pour plusieurs semaines... beaucoup de semaines.

Jeudi et vendredi, 8e et 9e traitement. C'est la routine avec son lot de fatigue, de sensations douloureuses. Supportables parce qu'on s'y habitue? Si ce n'était l'enflure de mes pieds et de mes jambes maintenant, la fin de semaine serait presqu'agréable. Je cueille chaque bon moment et m'offre, le dimanche, ma première vraie balade en cinq mois et marche en forêt, montant jusqu'au ruisseau qui borde mon terrain. La montée est forte bien que la distance soit courte. 

Lundi 9 juillet j'entame la seconde moitié de mes traitements, impatiente au mercredi, angoissée que je suis par ces pieds gonflés démesurément. Je ne suis pas la seule, me confie une connaissance en pleine guerre elle aussi. L’œdème l'envahit du pied à la cuisse avec douleur, inquiétude et entêtement de tous à nier un lien avec la radiothérapie. Pourtant? me dis-je, nous sommes plusieurs à constater cet effet. 

La salle d'attente est aussi une salle d'entente. On n'échappe difficilement aux confidences. Un regard suffit à distinguer l'accompagnateur du patient. Je suis chaque fois émue de cette volonté manifeste de vaincre le cancer qui les anime toutes. Les unes sont davantage épargnées, d'autres sont en désarroi à la seule idée d'être obligées de reprendre le travail dans quelques mois alors qu'elles se sentent encore si vulnérables. Il ne sert à rien de dire que tout va bien aller. On ne vit pas dans un futur probable quand on se noie dans le mal-être. Entendez-vous ma détresse crie-t-on dans nos silences autant que dans nos plaintes? Un cri devenu plus fort avec ces mois de lutte qui s'accumulent tandis que le corps continue de se dégrader. Ne pas nier ni le mal, ni la peur, ni l'angoisse de ces guerrières. Sinon, on les enferme dans la noirceur.

Mercredi. Enfin! J'ai rendez-vous avec le Dr. Brassard qui constate que le gonflement de mes pieds s'est encore amplifié. 

- Rétention d'eau? Circulation du sang?
- Je pense plutôt à un manque de protéines, dit-il. Une prise de sang nous le dira. Si vous la faites prendre demain, j'aurai les résultats pour notre rencontre la semaine prochaine.

Il me recommande de ne pas m'inquiéter. Si désagréable que soit l'enflure, il n'y a aucun danger d'autant plus qu'il demeure convaincu de la cause. Et pour la peau de plus en plus sèche du sein que malmènent les rayons, il conseille une crème, genre aveeno sans parfum. Tout à fait dans mes choix puisque j'utilise déjà leur gel nettoyant hydratant quotidien pour la douche. Je me sens plus légère.

J'aborde le jeudi et le vendredi comme une experte. Je sais que la fin de semaine sera bénéfique. L'augure est bonne pour le jour où les traitements prendront fin. Quittant la salle de traitement, je salue la dame qui, depuis un certain temps, me succède à la salle 1. Elle me connaît par son amoureux qui est un ami du mien, ancien confrère de travail et copain de ski. Je me souviens que mon Réjean lui avait confié sa peine de me voir attaquée par le cancer. Et voilà que la compagne de l'ami affronte le même ennemi. Pas de chimio pour elle, me rassure-t-elle et la radio se laisse apprivoiser. Nous sommes une femme sur neuf à affronter le cancer. Quelle que soit la direction où je regarde, un de mes proches sera atteint.

Mardi 17 juillet

J'attendais avec impatience de revoir mon oncologue, curieuse de connaître les secrets de mon sang. Bonne nouvelle : plaquette, globules blancs et rouges, circulation du sang, reins, foie, etc, rien d'alarmant. Et, tel que prévu, confirmation sans équivoque d'une carence en protéines. 

- Combien par jour me faut-il?
-Bonne question, dit-il en me signant un papier qui me donne accès à une nutritionniste.
- Pas de diurétique?

Il se montre prudent et me prescrit de l'apo-furosemide 20ng, pour quatre jours seulement.

Finalement, dans les circonstances, je dois absorber plus de 60 à 70 gr de protéines par jour. Je me transforme en chasseresse de protéines : 100 gr de yogourt vaut 4 gr de protéines, 50 gr d'amandes en vaut 10, deux œufs 13. Je fais l'inventaire de ce que je mange et me retrouve largement déficitaires de mes besoins. J'entreprends une discipline alimentaire dans le but de corriger cette carence. C'est fastidieux. Depuis l'enfance j'ignore ce que c'est que ressentir la faim. Mon corps ne me signale pas qu'il est en manque sinon par un état de faiblesse soudain et fort désagréable qui me donne la nausée. Faim ressentie ou pas, je m'oblige à consommer mes 60gr de protéines, surveillant l’œdème de mes pieds dans l'espoir de retrouver des chevilles fines.

Vendredi 20 juillet, 19e traitement. Michel ose poser la question : d'où venez-vous? Je suis arrivé au Québec en octobre 1957 à l'âge de 9 ans, mais j'ai gardé un accent qui semble tout aussi étranger quand je me retrouve en Belgique. Il a connu Bruges, n'ignore pas le conflit entre Flamands et Wallons et s'informe sur la fête nationale. Le 21 juillet, répond la Wallonne qui n'a pas tout à fait oublié l'histoire de son pays d'origine. J'aime mes trois jeunes techniciens : leur curiosité, leur souci de mon bien-être, la chaleur de leur accueil comme de l'au revoir. Je les reverrai lundi 23 pour la dernière fois.

23 juillet 2012

20e séance de radiothérapie. La dernière. J'ai l'impression d'être arrivée dans un lieu recherché après une longue traversée d'un champ de mines. La fin d'un parcours. Devant moi le vide. Je n'ai plus de repères, seulement une sorte d'euphorie. Voilà sept mois que j'ai entrepris une guerre contre le cancer. Elle n'est pas totalement terminée puisque je devrai me soumettre à une hormonothérapie pendant cinq ans. Elle se continue dans les effets secondaires de la chimiothérapie qui se manifesteront encore longtemps  et de la radiothérapie pour quelques semaines. Mais ce soir je fais la fête.

***

à suivre

18 commentaires:

  1. Via FB : à ta santé !!!

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  2. Jean-Pierre Bouchard24 juillet 2012 à 10:20

    Via FB : Bravo Christiane! Je te souhaite une belle ivresse!

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  3. Via FB : Je prends un verre en pensant à toi.

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  4. Via FB : Pas possible de t'abattre! Au plaisir de te voir quand tu auras le temps.

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  5. Via FB : Hip hip hip hourraaaaa ! :)

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  6. Simone Vanantwerpen24 juillet 2012 à 10:23

    Via FB : ENFIN LA FIN DU TUNNEL... COMME JE SUIS HEUREUSE MA COUSINE ET JE N'AI PAS DE CHAMPAGNE MAIS JEPENSERAI A VOUS TOUS ET A TOI LA PLUS FORTE QUI A COMBATTU AVEC FORCE DURANT 7 MOIS....CHOIUETTE TU ES LA GAGNANTE .... BONNE RECONSTRUCTION DE TA VIE ET PLEIN DE BONHEUR A TOI.... JE T'EMBRASSE MA COUSINE.....

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  7. Via FB : Des larmes de joie coulent sur mes joues. Que le bonheur t'accompagne chaque jour! Une bonne nouvelle !

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  8. Tachelle Bouchard24 juillet 2012 à 10:24

    Via FB : Bravo pur ta victoire

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  9. Via FB : Lever votre verre à votre ténacité et à l'avenir devant vous!

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  10. Francine Maltais24 juillet 2012 à 10:26

    Via FB :Quelle victoire et surtout quel combat! Celui-ci sera le phare d'un grand nombre qui auront un jour, tristement, à se jeter dans la bataille et ne pas renoncer. Tu es une grande dame.

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  11. Marie-Christine Bernard24 juillet 2012 à 10:26

    Via FB : Hourra!!!!!

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  12. Via FB : Belle attitude, chère Christiane!

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  13. Via FB : ENFIN....le pire est passé. Les beaux vont revenir,et on fêtera ça bientôt.

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  14. Anne-Marie Laberge24 juillet 2012 à 10:29

    Via FB : Quelle belle nouvelle! Bravo Christiane pour ton courage et ta force. Tu mérites pleinement que du beau!

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  15. Via FB : BRAVO! Vous êtes un exemple de courage et grâce à votre façon de combattre l'ennemi (par l'écriture), il est parti... Continuez à nous parler, à nous raconter ... On cache toujours cette maladie ... BRAVO!

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  16. Sébastien Van Autrève25 juillet 2012 à 13:07

    Via FB : FELICITATIONS Christiane, beau combat !! Je suis très content.

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  17. Johanne Tremblay25 juillet 2012 à 13:08

    Via FB : Je vous aime .courage grande dame xxx

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  18. Bravo Christiane et merci pour toutes les informations que tu nous a fournies. Je suis vraiment fière de toi. Je le répète... tu es un modèle de courage . Tu es vraiment forte. Je t'aime. Nicole

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